Doc. : Simone Veil devient ministre de la Santé

samedi 17 mars 2018
par  Julien Daget
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Consigne : vous présenterez le document de la façon la plus précise possible, et vous montrerez son intérêt et ses limites pour la connaissance de la place des femmes dans la société française au XXe siècle.

Sujet proposé à l’examen d’entrée à Sciences Po Paris, le 25 février 2018.
http://www.sciencespo.fr/admissions/fr/content/lepreuve-dhistoire


Pendant sa campagne, le nouveau président avait assuré les Français qu’il appellerait des femmes au gouvernement. L’idée était d’ailleurs dans l’air du temps. Quelques mois plus tôt, à l’occasion des fêtes de fin d’année, un magazine féminin, Marie Claire me semble-t-il, avait publié un retentissant article sur un éventuel gouvernement de femmes. J’en avais été bombardée Premier ministre. L’hypothèse était d’autant plus pittoresque que j’étais inconnue du grand public, que je n’avais jamais exercé le moindre mandat électoral ni assumé de fonction ministérielle. Je n’appartenais donc en rien à la sphère politico-mondaine dans laquelle les journalistes aiment généralement puiser des noms pour alimenter leurs articles de politique-fiction. Françoise Giroud figurait évidemment en bonne place sur ce podium virtuel. [...] Survint l’élection de Giscard. Dans les jours qui suivirent, une rumeur, étayée cette fois, commença à se répandre selon laquelle, parmi d’autres femmes plus en vue que je ne l’étais moi-même, le nouvel hôte de l’Élysée songeait à moi. C’était le Premier ministre, paraît-il, qui lui avait suggéré mon nom.

[...] j’étais liée avec sa principale conseillère, Marie-France Garaud, magistrat comme moi. Nous nous étions rencontrées alors qu’elle était chargée de mission au cabinet de Jean Foyer, entre 1962 et 1967. [...] Nommée au cabinet du nouveau Premier ministre, je crois bien que c’est elle qui a prononcé mon nom devant Jacques Chirac qui, à la demande du nouveau président, cherchait des femmes « nouvelles en politique ». [...]

Un soir, alors que nous dînions chez des amis, la maîtresse de maison m’invita à sortir de table. Quelqu’un désirait, de toute urgence, me parler. C’était Jacques Chirac, qui me demandait si j’accepterais, le cas échéant, de faire partie de son gouvernement. Il me pria de réfléchir et de le rappeler le lendemain. Le calme dont j’ai su faire preuve jusqu’à la fin de la soirée n’a pas manqué de surprendre mon mari. Pour dire le vrai, je n’avais qu’une très vague idée de ce qui m’attendait. La curiosité aidant, je n’ai guère hésité. C’est ainsi que je me suis retrouvée dès le lendemain ministre de la Santé, convaincue qu’une néophyte comme moi n’allait pas tarder à commettre une sottise telle qu’on la renverrait dans ses foyers. En outre, pourquoi le président m’avait-il confié la santé, secteur administratif dont je n’étais pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, une spécialiste ? Pensait-il déjà à l’IVG, thème sur lequel il avait pris des engagements ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, j’étais la seule femme ministre, mes consœurs n’occupant que des secrétariats d’État, Annie Lesur à l’Éducation, Hélène Dorlhac à la Justice, Françoise Giroud à la Condition féminine.

Simone Veil, Une vie, Paris, Stock, 2007.


Proposition de plan
Publié par Loïc Langlois (prof au lycée Pasteur de Neuilly) sur http://langlois.blog.lemonde.fr/2018/02/25/le-sujet-dhistoire-de-lexamen-dentree-a-sciences-po-session-2018/
Le plan suivant examine l’« intérêt » du document en 1. et 2. et ses « limites » en 3.

1. Un témoignage sur les progrès de la cause des femmes :
1.1. La première nomination d’une femme ministre de plein exercice depuis 1947 ;
1.2. Une « idée […] dans l’air du temps » ;
1.3. L’annonce d’une politique favorable à la cause des femmes ;

2. Un témoignage qui montre néanmoins que les progrès restent incomplets :
2.1. Un gouvernement en grande partie masculin ;
2.2. Une « inconnue » qui s’attend à être renvoyée « dans ses foyers » ;
2.3. Une nomination à la Santé, non pas à la Justice ;

3. Un témoignage qui masque les tensions de la société devant la question féminine :
3.1. Les revendications du second féminisme ;
3.2. Les résistances, celles de la majorité parlementaire,
3.3. comme celles d’une société qui reste masculine…


À lire :
Christine Bard, « Les premières femmes au Gouvernement (France, 1936-1981) », Histoire@politique, n° 1, 2007, p. 110.
https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2007-1-page-2.htm