Doc. – Comment Bonaparte se juge en 1816

« Beau résumé de l’histoire de l’Empereur par lui-même »
jeudi 22 août 2019
par  Julien Daget
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Consigne : après avoir présenté le document et notamment son contexte, vous analyserez d’une part l’argumentaire de Napoléon Bonaparte, d’autre part qu’à travers cet ouvrage, il construit sa propre légende (n’oubliez pas votre sens critique).
L’analyse du document constitue le cœur de votre travail, mais nécessite pour être menée la mobilisation de vos connaissances.

Ce point de vue peut être comparé avec ceux fait en 2014 et 2021.
Méthode : l’analyse de document(s)


Mercredi 1er mai 1816
Beau résumé de l’histoire de l’Empereur par lui-même.


[...] Après le dîner il a parcouru quelques-unes des adresses, des proclamations ou actes du recueil de Goldsmith [1], d’ailleurs si incomplet : quelques-unes l’ont remué ; alors posant le livre et se mettant à marcher, il a dit : « Après tout, ils auront beau retrancher, supprimer, mutiler, il leur sera bien difficile de me faire disparaître tout à fait. Un historien français sera pourtant bien obligé d’aborder l’empire ; et, s’il a du cœur, il faudra bien qu’il me restitue quelque chose, qu’il me fasse ma part, et sa tâche sera aisée, car les faits parlent, ils brillent comme le soleil.

J’ai refermé le gouffre anarchique et débrouillé le chaos. J’ai dessouillé la révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. J’ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites, et reculé les limites de la gloire ! Tout cela est bien quelque chose ! Et puis sur quoi pourrait-on m’attaquer, qu’un historien ne puisse me défendre ? Serait-ce mes intentions ? Mais il est en fond pour m’absoudre. Mon despotisme ? mais il démontrera que la dictature était de toute nécessité. Dira-t-on que j’ai gêné la liberté ? Mais il prouvera que la licence, l’anarchie, les grands désordres, étaient encore au seuil de la porte. M’accusera-t-on d’avoir trop aimé la guerre ? Mais il montrera que j’ai toujours été attaqué ; d’avoir voulu la monarchie universelle ? Mais il fera voir qu’elle ne fut que l’œuvre fortuite des circonstances, que ce furent nos ennemis eux-mêmes qui m’y conduisirent pas à pas ; enfin, sera-ce mon ambition ? Ah ! sans doute il m’en trouvera, et beaucoup ; mais de la plus grande et de la plus haute qui fut peut-être jamais : celle d’établir, de consacrer enfin l’empire de la raison, et le plein exercice, l’entière jouissance de toutes les facultés humaines ! Et ici l’historien peut-être se trouvera réduit à devoir regretter qu’une telle ambition n’ait pas été accomplie, satisfaite ! » Et après quelques secondes de silence et de réflexion : « Mon cher, a dit l’Empereur, en bien peu de mots, voilà pourtant toute mon histoire. »

Emmanuel de Las Cases [2], Mémorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu’a dit et fait Napoléon durant dix-huit mois, Paris, 1824 [1re édition 1823], huit volumes in-12, tome 3, p. 268-270. → http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1349706/f274.image


[1Lewis Goldsmith, Recueil des manifestes, proclamations, discours, etc. de Napoleon Buonaparte, comme général en chef des armées républicaines, comme premier consul, et comme empereur et roi. Extraits du "Moniteur", Londres, T. Harper le jeune, 1810-1811. Il a aussi publié The secret history of the cabinet of Bonaparte : including his private life, character, domestic administration, and his conduct to foreign powers, Londres, J.-M. Richardson, 1810 et Procès de Buonaparte, ou Adresse à tous les souverains de l’Europe, Paris, J. Moronval, 1815. → https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5793672n

[2Emmanuel de Las Cases accompagne Napoléon Bonaparte après Waterloo, négocie sa reddition en rade d’Aix, puis devient son secrétaire sur l’île de Sainte-Hélène jusqu’à la fin 1816. Il rédige son Mémorial en Belgique, rentrant en France en 1821.


Documents joints

Bonaparte se juge en 1816