Doc. : le lancement du plan Marshall

discours du général Marshall à Harvard
mercredi 12 juillet 2017
par  Julien Daget
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Consigne : à travers l’analyse du document, vous montrerez quel rôle les États-Unis veulent jouer dans le monde après la Seconde Guerre mondiale.
Méthode : l’étude critique


Je n’ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que la situation mondiale est très grave. Cela est bien évident pour tous les gens intelligents. […]

[…] les pertes en vies humaines, les destructions de villages, d’usines, de mines et de voies ferrées ont été estimées de façon assez exacte, mais il est devenu évident […] que ces destructions visibles sont probablement moins graves que la dislocation de toute la structure de l’économie européenne. […] Mais, même si une solution plus rapide de ces problèmes difficiles était acquise, la reconstruction de la structure économique de l’Europe demandera évidemment beaucoup plus de temps et des efforts plus grands que nous ne l’avions prévu. […]

La vérité, c’est que les besoins de l’Europe pendant les trois ou quatre prochaines années en vivres et en autres produits essentiels importés de l’étranger – notamment d’Amérique – sont tellement plus grands que sa capacité actuelle de paiement qu’elle devra recevoir une aide supplémentaire très importante ou s’exposer à une dislocation économique, sociale et politique très grave. […]

En dehors de l’effet démoralisant qu’a le désespoir des peuples […], les conséquences de cette situation pour l’économie des États-Unis devraient être évidentes pour tous. Il est logique que les États-Unis doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour aider à rétablir la santé économique du monde, sans laquelle la stabilité politique et la paix assurée sont impossibles. Notre politique n’est dirigée contre aucun pays, aucune doctrine, mais contre la famine, la pauvreté, le désespoir et le chaos. Son but doit être la renaissance d’une économie active dans le monde, afin que soient créées les conditions politiques et sociales où de libres institutions puissent exister. […] Tout gouvernement qui intrigue pour empêcher la reprise économique des autres pays ne peut espérer recevoir notre aide. De plus, les gouvernements, les partis et les groupes politiques qui cherchent à perpétuer la misère humaine pour en tirer un profit sur le plan politique ou sur les autres plans se heurteront à l’opposition des États-Unis.

[…] Il ne serait ni bon ni utile que ce gouvernement entreprenne d’établir de son côté un programme destiné à remettre l’économie de l’Europe sur pied. C’est là l’affaire des Européens. L’initiative, à mon avis, doit venir de l’Europe. Le rôle de ce pays devrait consister à apporter une aide amicale à l’établissement d’un programme européen, et à aider ensuite à mettre en œuvre ce programme dans la mesure où il sera possible de le faire. Ce programme devrait être général et établi en commun par un grand nombre de nations européennes, sinon par toutes. […]

Général George Catlett Marshall Jr. (secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique), Address to the graduating class of Harvard University, 5 juin 1947.
https://en.wikisource.org/wiki/The_Marshall_Plan_Speech

Discours du général Marshall en 1947

Proposition d’analyse

Présentation du doc en intro
Il s’agit d’un discours politique de George Marshall, qui est alors le secrétaire d’État des États-Unis, c’est-à-dire l’équivalent d’un ministre des Affaires Étrangères.

Le contexte est double : d’une part la remise sur pied du monde après la Seconde Guerre mondiale, d’autre part le début de la guerre froide.

Une aide économique
Présentation de l’état catastrophique de l’Europe et de sa difficile reconstruction, alors que les États-Unis en sortent presque intacts. Danger d’« une dislocation économique, sociale et politique » en Europe : évocation des conséquences sociales (montée du chômage et de la pauvreté) puis politiques (population qui se tournerait vers le fascisme ou le communisme).
« Rétablir la santé économique du monde, sans laquelle la stabilité politique et la paix assurée sont impossibles » mission mondiale que s’est donné l’administration Truman, d’où les accords de Bretton Woods, la fondation de l’Organisation des Nations unies, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Présentation des idées de base de l’European Recovery Program (ERP), surnommé par la suite le plan Marshall : des dons et des prêts pour assurer une « capacité de paiement ». Cette relance de l’économie européenne est bonne pour l’économie américaine : il s’agit d’un marché pour les « vivres et autres produits essentiels importés d’Amérique ». « Les conséquences de cette situation pour l’économie des États-Unis devraient être évidentes pour tous ».
Selon le dernier paragraphe, les Européens doivent avoir un rôle actif : ce fut la raison d’être de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) fondée en 1948, prélude à la construction européenne.

Il s’agit d’une rupture avec le principe antérieur de l’isolationnisme : les Américains s’interdisent d’intervenir en Europe, tout en empêchant aux Européens d’intervenir aux Amériques (doctrine Monroe). Un tel revirement nécessite toute une argumentation pour convaincre les élites américaines, d’où ce discours devant les diplômés de l’université Harvard, alors majoritairement démocrates (les « gens intelligents »).

Mais pas pour n’importe qui
Cette question économique est en fait géopolitique, à recadrer dans le contexte du début de la guerre froide. « Notre politique n’est dirigée contre aucun pays, aucune doctrine », mais comme il s’agit de créer « les conditions politiques et sociales où de libres institutions puissent exister », des limites apparaissent dans ce discours.

« Tout gouvernement qui intrigue pour empêcher la reprise économique des autres pays ne peut espérer recevoir notre aide » : évocation du pillage de leur zone d’occupation en Allemagne par la France et l’Union soviétique.
« De plus, les gouvernements, les partis et les groupes politiques qui cherchent à perpétuer la misère humaine pour en tirer un profit sur le plan politique ou sur les autres plans se heurteront à l’opposition des États-Unis » : sous-entendu l’URSS, ses satellites (coup de Prague) et les différents partis communistes (grèves en France).

Même si le programme d’aide est censé concerner « un grand nombre de nations européennes, sinon toutes » (même les anciens ennemis allemands et italiens), Marshall annonce que dans la pratique seuls les pays capitalistes amis des États-Unis vont en bénéficier. Ce discours est contemporain de celui de Churchill (discours de Fulton) et surtout de Truman en mars 1947 avec son principe du containment (l’endiguement de la doctrine Truman).

Apports et limites
Derrière une façade généreuse, ce programme d’aide économique est une arme géopolitique. Les États-Unis assument désormais leur rôle de leader du monde occidental.


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